Une petite indiscrétion : Si je devais m’exiler sur une île déserte avec
un seul et seul film, je choisirais sans l’ombre d’une tergiversation Pas
son genre de Lucas Delvaux. Un bijou du septième art(en tous cas pour moi)
racontant l’amour impossible entre un bobo parisien professeur de philo et une
coiffeuse d’Arras . Clément, le prof interprété par Loïc
Corbery a maintes fois offert des cadeaux à la bellissima Jennifer incarnée par
Emilie Dequenne qui illustrent leurs différences. Offrir à la dulcinée un Nietzsche et un Dostoïevski, il ne pouvait QUE tomber HS, tombons dans le cliché. « Excuse-moi
si j’ai pas vu assez de films ou de séries »pour se la jouer plus galant
et romantique, aurait lâché Lefa. Mais un passage illustre bien leurs différences ; devant un
cinéma, faisant la queue Jennifer a les yeux qui brillent.
-Je ne sais pas ce que ça raconte mais c’est avec Jennifer Aniston.
Le regard perdu dans le vide Clément réplique, indifféremment :
-Franchement je ne vois pas qui c’est.
Interloquée, elle lui demande avec une voix qui révèle son étonnement.
- Vous ne voyez pas qui c’est Jennifer Aniston ? Mais dans quel monde
vous vivez Clément ?
Et nous dans nos salles de cinéma de Gitega nous vivons dans un autre
monde. Les règles que certains appelleraient classiques dans le cinéma, on s’en
balance royalement. C’est le jour et la nuit ou tout simplement Clément et
Jennifer, deux réalités incompatibles, et Dieu merci ! We will survive !
8h du matin
Nous avons nos horaires. Le premier film de l’avant midi c’est ce que l’on
appelle malignement iz’ingumu. Un film souvent asiatique aux relents de Kungfu ou autres shaolineries mais
nous ne payons pas le moindre kopek sans qu’on nous balance d’abord une bonne
musique que vomissent des hauts parleurs qui, s’ils pouvaient parler crieraient
au secours tant ils sont vieux et usés mais toujours au max du volume. Pendant
ce temps certains vont s’approvisionner en cannes à sucre. Il paraitrait que
sous d’autres cieux on regarde les films en mâchonnant du popcorn. Misère !
à la mode de chez nous on savoure une bonne à sucre arrivée fraichement du
Kumoso.
8h 15
La fête peut commencer. On enlève nos t-shirts et chemises. Il commence à
faire une chaleur de camp de concentration nazi. Nos torses en sueur reflètent
les images du vieux téléviseur qui nous emporte en Asie. Un petit silence. Seul
le bruit de nos mâchoires bataillant avec les cannes à sucre est audible quand
tout à coup….huiiiiiiiiiiiiiiiit, un concert de sifflements. L’image s’est coupée.
Le Dj, c’est ainsi que nous appelons le
mec qui ramasse vos sous et joue les techniciens si besoin il y’a, vous sort un
numéro de magie mais à vous laisser coi d’admiration. Il pose un papier dans le
lecteur VHS et abracadabra, l’image revient. La sérénité revient et on suit le
film dans un drôle de charabia asiatique. Heureusement on refait le film. L’acteur
principal va se balader dans une ville et y rencontre une bella dona avec qui il
va faire des trucs pas trop cathos avec la bouche, c’est illico sa femme, ne
nous dérange pas avec tes explications à la con,gnagnagnan, n’umugore wa
maitre, c’est tout et tu la boucle ! Nous suivons les aventures du maitre
qui va décimer à tour de rôle les sales suppôts du très méchant assassin. Cet
acte d’amour a aussi sa forme d’orgasme. Quand l’image qui se trouve sur le
placard s’affiche, tout le monde se lève et crie en chœur « titreeeeeeeeeee »
en battant des mains comme si Saido Berahino venait de marquer un but qui donne
aux Intamba sa première coupe du monde. Dans la plupart des cas c’est dans le
très prisé combat ya mwisho que l’image est capturé. Chaque coup de poing est accompagné par des
yeeeeeeeeeeee. La mort d’assassin est d’ailleurs
acceuillie par une standing ovation bien nourrie. Ce n’est pas que les gens de
Gitega sont méchants, tout le contraire, ce n’est qu’un film.
10h
On s’est essuyé avec nos vêtements, on a repris le morceau de canne à sucre
abandonné en pleine séance car le mec devant toi s’était levé. Le Dj a ouvert
la seule porte que comporte le cinoche. Un vent frais a rendu l’air respirable,
un peu. Ce n’est tout de même pas que ton voisin a lâché un pet plus nocif que
la radiation de Tchernobyl que tu vas te barrer. C’est le tour du firime y’amasoro.
La chasse gardée des Rambo, Chuck Norris et compagnie. C’est le summum de la
matinée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que des commentaires à dormir
debout fusent dans cette séance. L’histoire belliqueuse entre le Vietnam et les
USA est revisitée par ces experts improvisés.
-Vraiment ce Rambo, eeeeeeeeeeeee, il est fort, c’est pour cela que les
américains ont vaincu les vietnamiens, ces films sont des vrais. Ce sont des
satellites qui ont pris ces images. Ndakeseraaa.
Un ami de ce commentateur hoche la tête en signe d’approbation, conquis par
la très poussée et fouillée argumentation.
-En fait, monsieur, ça c’est un baratin américain pondu par Hollywood, la
réalité de la guerre entre Vietnamiens et Américains est toute autre.
Tu te prends pour qui toi, d’abord ? Tu connais les années qui se sont
écoulées sans qu’on rate un seul film montrant un American qui prend à lui seul
tout un camp ? Je te jure que ce sont des satellites qui ont pris ces
images, au diable ton Hollywood ! Mxiouuuh.
Aaaaaah, déjà ? Il est midi ! Quatre heures c’est court dans nos
cinémas de Gitega.