« Tu seras un homme mon
fils », m’aurait dit mon
daron le jour de mon diplôme. Ne
repose pas en paix, Kipling, sale menteur, ai-je envie de crier. Aaah, s’il me voyait le paternel!
Toute ma génération ou presque a connu cette brève gloire : Le temps
de vingt-quatre heures tu es la coqueluche de tout ton petit monde autour de
toi. Même tes impossibles Juliette te font
les yeux doux ce jour ! Punaise ! Mais quelle alchimie tout ce bordel !
Tu te sens léger plus qu’une plume. Sans oublier les fameuses enveloppes qu’on
te glisse en te chuchotant un « tu
le donneras à tes parents, hein … »la suite on la connaît, salut
le cabaretier du coin. Les plus curieux te demandent quelle faculté tu veux
faire. Ta langue répond en mode Ferrari sur le Grand Prix de Monaco. On t’a dit
que t’es matheux ? « Baaah
je ferais polytechnique mais je ne sais pas encore si je me spécialiserai en
Maths ou Physique » et si t’as frappé ta voisine de classe par un
piteux madrigal et qu’elle a enregistré « Ronsard » dans son téléphone, « Je ferais évidemment Langues et Littératures
Françaises » et ainsi de suite.
Tous les ingrédients sont réunis pour se concocter un petit plan dans un petit
coin de son cerveau : La vie est tout en rose.
Le jour J, l’heure H, l’instant T vient quand vient le jour de
l’inscription. Les Honorables Poillisimes « t’accueillent », « te civilisent ». Ils te disent
toutes les voiture de Buja sont tiennes, tout l’argent est à toi parce que
naturellement « tout l’argent est
fabriqué par les Poillisimes ». Ceux des universités privées, ce ne
sont que des ″abiga mu myonga‶ et à
tu vois déjà ce qui t’attend au bout du tunnel : Des pourvoyeurs d’emplois
qui vous font presque la manche en vous supplient de bien vouloir avoir la
gentillesse de travailler chez eux, Monsieur Le Poillisime Omnipotent.
Sauf que….
Voilà mon cursus académique terminé. Là où mon regard se pose, un trou
béant. Où t’es emploi où t’es, où t’es emploi où t’es ça doit faire au moins
mille fois que j’ai bouffé mes doigts. Telle Madame Bovary entrevoyant le grand
Amour dans les yeux de chaque homme, je vois le havre de mon omnipotence dans
chaque Communiqué d’appel d’offre. La semelle de mes chaussures en paye le
prix. Même le bout du pneu que mon ami cordonnier y a collé penche un peu. Le miroir est devenu ma terreur. J’ai la
bizarre impression que ma face ressemble au Jésus de la Piéta de Michel-Ange. Horreur! Et sous le soleil accablant de Bujumbura, Umurwa mukuru w’aba poils, nos voitures
ne me déplacent plus. Je fais le stop pendant toute une éternité, ils ne s’arrêtent
pas. Mais que Diantre ai-je fais au bon Dieu. Bon ? J’en doute un peu. Il
paraîtrait qu’il nous aime plus que les oiseaux du ciel. Que j’aimerais bien en
être un et glaner ça là pour adoucir le
soleil qui luit dans mon ventre ! Maintenant se pose la vraie, la grande,
la gênante question. Dois-je retourner Ruguru ? I Bouaké ? Jouer les
Pierre Rabbi et retourner la terre au tempo de saisons ? Zat iz zoeu
question....